Les tranchées dans la Grande Guerre - Musée de la Grande Guerre

Dimanche 6 octobre – Trail du « Soldat de la Marne »
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Le parking et le musée restent ouverts pour les visiteurs.

 

Les tranchées dans la Grande Guerre

François Cochet - Commissaire de l'exposition Tranchées | 03.18.22

Questions à François Cochet, commissaire de l’exposition 2022 « Tranchées » et professeur émérite de l’université de Lorraine-Metz

Comment expliquer l’enlisement du conflit à l’automne 1914 ? Cette forme de guerre était-elle prévisible ?

Les armées qui se combattent sont de forces à peu près équivalentes et n’arrivent pas à remporter la victoire décisive rapide à laquelle ils croyaient tous. Quand les combats débouchent sur la mer du Nord en octobre 1914, plus aucune autre possibilité tactique n’existe que l’attaque frontale, avec des tranchées installées sur une ligne continue de près de 750 km des Vosges à la mer du Nord. L’enlisement est donc du à l’équilibre des forces qui oblige les adversaires à s’enterrer pour se protéger du feu de l’ennemi.

Cette forme de combat a déjà été observée dans les conflits qui précèdent 1914 depuis la guerre de Sécession (1861-1865) aux Etats-Unis, jusqu’aux guerres balkaniques (1912-1913), mais rien n’est jamais prévisible à la guerre et les penseurs militaires étaient divisés sur l’usage des tranchées. Ces dernières sont une sorte de surprise imposée dès les premiers combats.

Pourquoi les tranchées sont devenues le symbole de la Grande Guerre ?

Parce qu’elles n’avaient jamais été utilisées aussi largement pendant aussi longtemps, en tout cas sur le front occidental.  Elles symbolisent la Grande Guerre non seulement comme système défensif/offensif, mais également par les modes de survie qu’elles entraînent pour les soldats qui y passent souvent plusieurs jours avant de redescendre dans des villages de repose plus en arrière des lignes de combat. Leur vie est rythmée par les bombardements d’artillerie incessants, l’angoisse constante d’être possiblement écrasés par les obus de l’ennemi, le froid, l’humidité, les odeurs de cadavres qui n’ont pas pu être enterrés, la présence de rats ou de poux. C’est tout un univers mental et matériel qui s’installe dans les tranchées et l’on comprend la joie des soldats quand, au bout de quelques jours, ils peuvent quitter les tranchées pour retrouver les villages de l’arrière-front.

 

Est-ce que l’on connait tout aujourd’hui de l’organisation des tranchées ?

On sait à la fois beaucoup et peu de choses sur l’organisation des tranchées. L’immense majorité d’entre elles ont disparu dès la paix revenue lorsque les terrains ont pu être rendus à la culture. Les tranchées subsistent sur quelques parties du front (Vosges, Verdun par exemple). On dispose des documents militaires de l’époque, notamment les « canevas de tir » qui sont destinés à l’artillerie et qui recensent avec précision toutes les tranchées existantes alors. Aujourd’hui le travail des archéologues de la Grande Guerre est capital pour retrouver l’organisation des tranchées et l’on découvre encore de nombreuses dimensions, notamment de la vie quotidienne des soldats dans les tranchées (nourriture, boisson etc.)

D’où vient le terme « système-tranchées » ?

Le fait d’accoler les deux termes et de les relier par un tiret montre les liens forts et organisationnels qui unissent les tranchées constituées en un système de plus en plus cohérent, complexe et développé au fur et à mesure que la guerre se prolonge. L’expression a été créée en 2005 par l’historien François Cochet dans son ouvrage, Survivre au front. 1914-1918, les poilus entre contrainte et consentement. C’est bien un système de pensée en fonction des possibilités offertes par le terrain qui préside à la réalisation de tranchées, nourries les unes des autres, emboitées entre elles et reliées par des boyaux de communication.

Quels sont les idées reçues les plus communes sur les tranchées de la Grande Guerre ?

La principale idée reçue est que les soldats y vivraient en permanence. En fait ils n’y font que passer durant plusieurs jours avant de retrouver les secondes lignes, puis les villages de l’arrière-front. La deuxième grande idée reçue est que la tranchée est un lieu de combat. C’est surtout un lieu de veille et de surveillance de l’ennemi. La montée à l’assaut et la défense des tranchées lorsque l’ennemi attaque demeure un événement assez rare, heureusement. Toutefois les tranchées demeurent bombardées presque constamment, ce qui en fait un lieu à risque permanent.

Quel objet  illustre selon vous ce qu’ont été les tranchées de 14-18 ?

La tranchée est un lieu défensif. Les éléments les plus aptes à rendre cette dimension sont les fils de fers barbelés qui précèdent les tranchées de son propre camp, afin d’empêcher l’ennemi de s’approcher, mais aussi les mitrailleuses, qui par leurs tirs croisés peuvent briser dans l’œuf toute attaque de l’ennemi. D’autres armes évoquent également le combat de tranchées : canons à tir courbe (Minenwerfer allemand ou « Crapouillot » français, grenades à main ou à fusil) Il faut y ajouter les nombreux objets qui permettent aux soldats de creuser les tranchées (outil individuel, pelles et pioches), mais aussi d’y vivre un temps : boîtes de conserve, blagues à tabac, pipe.

 

Est-il possible aujourd’hui de raconter ce qu’ont été les tranchées de la Grande Guerre ?

Grace aux travaux des historiens et des archéologues, il est possible de suivre la vie des soldats dans les tranchées de la Grande Guerre. Cette vie mérite largement d’être racontée au public qui souhaite connaître la manière dont l’arrière-grand père a vécu, a peut-être été blessé ou tué dans une tranchée. De nombreuses possibilités matérielles ou numériques existent, qui permettent de donner une idée de ce qu’ont vécu les soldats des deux camps dans la guerre de 1914-1918 et de s’approcher d’assez près, sans en égaler les horreurs, dans leur vie dans les tranchées.